Transcription du Rapport de Faivre sur l'enseignement primaire à Metz en 1830-1831
Médias
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RAPPORT SUR L'ÉTAT DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A METZ ; Par M. FAIVRE. ;
Messieurs,
D'après une lettre de M. le Maire, qui vous a élé communiquée à votre dernière séance , vous avez nommé une commission ayant pour objet de vérifier l'état de l’enseignement dans les diverses écoles de la ville, afin que le Conseil municipal füt éclairé sur la plus juste répartition qu'il y aurait à faire de la somme votée en faveur de ces établissemens. Ont été désignés commissaires MM. PERRUCHOT, GOSSELIN et moi; et, sans retard, sur l'avis de M. le secrétaire, qui, en s'adjoignant à la commission, l’a constamment secondée de son active présence, il a été procédé, en commun, dans les écoles, à un examen rigoureux , dont je vais avoir l'honneur de vous exposer les résultats.
La division de notre travail et la marche à suivre pour l'effectuer se présentaient d’elles-mêmes. Les institutions gratuites de la ville se composent de l'école de dessin, dirigée par M. Durur, et des écoles primaires tenues par les frères de la doctrine chrétienne : c'est par celles-ci que nous avons commencé. Et d’abord nous avons senti le besoin de nous étayer de quelque point de comparaison qui pût éclairer et motiver notre jugement.
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L'institution gratuite d'enseignement mutuel, maintenue, depuis l'introduction de ce mode d'enseignement à Metz, par une société libre , dont on ne saurait trop louer et la persévérance et la généreuse sollicitude pour les classes pauvres, s'offrit à notre pensée; il fut convenu qu'immédiatement après avoir visité les écoles de la doctrine chrétienne, nous nous rendrions à celle de l'enseignement mutuel.
En effet, nous procédimes ainsi qu'il avait été déterminé entre nous, et partout nos investigations furent minutieuses; partout nous fûmes reçus avec la plus grande déférence, et mis à même , par des communications franches, de porter le jugement le mieux motivé. Aussi la commission a-t-elle par devers elle des notes fort détaillées , dont elle pourra donner connaissance, s'il en est besoin, mais qui auraient inutilement chargé ce rapport, où elle à cru devoir attirer toute votre attention principalement sur les résultats généraux de son travail.
De notre examen des écoles chrétiennes , comparé à celui que nous avons fait ensuite de l'école d'enseignement mutuel, il s’est suivi que cette dernière institution est préférable aux autres, en premier lieu, sous le point de vue des résultats obtenus. Sous tous les rapports, en lecture, en écriture, mais surtout en grammaire et en arithmélique, les enfans qui fréquentent l'enseignement mutuel ont été trouvés sensiblement plus forts que ceux qui ont été examinés aux écoles chrétiennes.
Cette différence a paru devoir être attribuée, moins au mode d'enseignement en lui-même, ou au mérite personnel des professeurs, qu’à l'emploi du temps.
Dans l'un et l'autre établissement le mode a pau vicieux sous plus d’un rapport; mais aux écoles chré- tiennes, en particulier, indépendamment du choix des livres , qui nous a paru très-peu convenable, tandis qu’à
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l’enseignement mutuel ce choix est généralement fort judicienx, un silence presque absolu, gardé par le pro- fesseur pendant la durée des classes, tout en étant favo- rable à la discipline, ne doit certainement pas l'être aux progrès intellectuels des élèves. -
Au reste, comme nous vous l'avons dit, Messieurs, cette différence nous a paru avoir sa source principale dans la distribution du temps. Aux écoles chrétiennes, sur sept heures de classes , trois heures et un quart sont consacrées à l’enseignement et aux exercices religieux. À l'enseignement mutuel, sur sept heures et demie de classes, trois quarts d'heure seulement sont journellement consacrés aux prières et au catéchisme, et cependant l'instruction religieuse semble y être aussi soignée qu'il soit possible de le désirer. Deux ecclésiastiques viennent, le jeudi, donner l'instruction du catéchisme, et mes- sieurs les curés sont en général fort contents des enfans qui fréquentent l'enseignement mutuel, lorsque ceux-ci se présentent pour faire leur première communion.
Quoi qu’il en soit , la supériorité de ces derniers sur les autres est incontestable. Mais, sous un second point de vue, l’enseignement mutuel a semblé à votre commission devoir être préféré à l'institution de la doctrine chrétienne.
L'instruction donnée aux écoles chrétiennes revient annuellement à 8f,40 par élève. Ce calcul, très-sim- ple, nous avait frappés d'abord, et en effet il était dif- ficile de concevoir un enseignement plus économique. Cependant l'institution des frères, composée de quatorze personnes rétribuées à 600f chacune , coûte annuellement 8400f, et instruit mille élèves; à l’enseignement mutuel, deux cents élèves sont sous la direction d'un seul maître et d'un sous-maître, dont les appointemens ne s'élèvent ensemble qu'à 1500f. Cinq écoles semblables contiendraient donc un nombre d'enfans égal à celui des
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élèves qui fréquentent les écoles des frères, et ne coûteraient en somme que 7500f ce serait une économie de goof. Si l'on considère ensuite que la maison centrale qui sert de logement aux frères, se trouverait ainsi à la disposition du Conseil. mumicipal, par qui elle pourrait être affectée à tant d'autres institutions publiques, pour lesquelles surtout on mauque do local, il est évident qu'il y aurait économie notable à substituer des écoles d'enseignement mutuel aux écoles de la doctrine chrétienne, et que, sous ce second point de vue, nos conclusions sont parfaitement justifiées.
Cependant deux considérations importantes viennent encore les appuyer.
Assurément , Messieurs , les frères de la doctrine chrétienne ont plus gagné que perdu dans notre opinion , à la visite que nous avons faite de leur établissement, et si mous avions apporté contre eux le préjugé défavorable qui pèse aujourd'hui sur leur ordre, et dont l'expression d'ailleurs n’a été qu'une simple manifestation d'opposition politique, nous serions sortis de leur maison éminemment convaincus que rien n'était moins fondé. Leur zèle et leur dévouement sont au-dessus de tout éloge; à des manières douces et affectueuses, ils joignent un extérieur simple sans rudesse. On les représente communément comme des pédans infléxibles : leur réglement, que nous avons eu grand soin d'examiner, prescrit les ménagemens les plus minutieux dans l'emploi des corrections; les châtimens qu'ils infligent sont rares et peu rigoureux ; en général , ils portent dans l'application des peines et dans celle des récompenses, un discernement peu commun. Enfin, bien que l'enseignement mutuel l'ait, à notre avis, emporté sur le leur pour les succès obtenus, les efforts de ces Messieurs sont loin d'avoir été sans résultats, et nous nous sommes plu à reconnaître que,
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pour l'écriture surtout, au moins telle qu'on l'enseigne aujourd'hui, leurs élèves laissent peu à désirer.
Mais après leur avoir rendu cette justice, on ne peut s'empêcher de reconnaître que leur institution, fort belle à son origine , et très-avancée pour le temps où elle a été produite, est une iustitution imniobile, pour ne pas dice rétrograde, puisqu'elle a été fondée dans cette idée fausse, qué le genre humain doit rester à jamais dans le mème état, dans les mêmes erremens. Or, une institution immobile est, par le fait même, incompatible avec le progrès, et s'il existe une nécessité, c'est celle que l'énseignement primaire, comme toute institution de ce genre, soit progressif, c'est-à-dire susceptible de comprendre incessamment toutes les améliorations qui pourront y être successivement introduites.
De là, cette autre nécessité de mettre l'enseignement primaire sous la direction immédiate de l'autorité compétente, d'üne commission, par exemple, composée des Tommes les plus aptes à bien remplic ces importantes fonctions , et chargée, arinuellement de la surveillance des écoles ; et l'on sent assez, sans que nous ayons besoin de la faire ressortir davantage, l'incompatibilité d'une pareille mesure avec l'existence d’une institution religieuse, dépendant directement d'une maison supérieure qui a sa résidence à Paris, avec laquelle il serait fort difficile de correspondre , et avc laquelle, en tout cas, on ne pourrait pas traîter aussi librement que l'exigerait souvent la nature des réformes où des améliorations à réclamer.
L'école de dessin, attribution non moins directe de la Commission qui serait chargée d'inspecter les écoles de la ville, est loin de présenter à cet égard les mêmés inconvéniens que l'institution des frères.
Cette école, fondée, on peut le dire, par M. Dupuy, n'a cessé, depuis quatorze ans qu'elle existe , et grace au
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zèle éclairé de cet infatigable professeur, de s'accroître et de s'améliorer constamment sous tous les rapports. Elle est devenue, de la sorte, une institution essentiellement progressive et, pour n’en citer qu'une preuve , vons pouvez tous, Messieurs, vous rappeler ce concours ouvert par vous pour le meilleur mode d'enseigrement applicable à la fois au dessin géométrique et au dessin linéaire, con- cours provoqué par M. Dupuy lui-même, qui, bien différent en cela de cette foule de professeurs vulgaires, que tout progrès , toute idée nouvelle épouvante, s'offrit à faire de ses propres fonds les frais du prix proposé. Or, Messieurs , ce qui est mieux encore, c'est l'empressement et le discernement judicieux avec lesquels notre collègue a appliqué depuis cette époque, aux travaux de son établissement, les idées qui lui ont paru incontestablement bonnes dans les deux mémoires que vous avez couronnés ; et votre Commission a cru devoir signaler de la manière la plus honorable les résultats obtenus dans les différens genres dont se compose l'étude du dessin, par les élèves qui fréquentent l’école de la ville.
Néanmoins, dans l'intérêt même de cette école, dont l'objet spécial, atteint d’ailleurs d’une manière si louable, ne peut que gagner encore à être renfermé dans ses propres limites, votre commission a cru devoir proposer la suppression des cours de mathématiques qui y ont été adjoints à une époque où nulle institution de ce genre ne mettait encore les sciences exactes à la portée des ouvriers, mais qui , depuis l'établissement des Cours industriels, ne pourraient plus offrir qu'un double emploi.
Il est bien entendu, toutefois, que l'enseignement théorique serait seul compris dans cette exclusion ; car l'application de la géométrie à plusieurs des branches du dessin resterait nne attribution, même forcée, des professeurs de l’école.
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Et quant à l'arithmélique , dont l'enseignement, au dire de M. DUPUY lui-même, est une entrave pour son école, non-seulement elle y serait supprimée, mais on en exigerait la connaissance jusqu’à la règle de trois inclusivement , de la part des élèves qui se présenteraient pour suivre les cours qui y sont professés.
D'une autre part, et toujours dans l'intérêt d'un établissement qui lui a paru mériter toute l'attention de l’autorité municipale, la Commission a cru devoir signaler l'insuffisance du local qui y est affecté. La nécessité qu'imposent la mauvaise distribution des salles et leurs étroites dimensions, de restreindre le nombre des élèves gratuits, et la nécessité d’ailleurs, de jour en jour plus pressante, de rendre ce nombre aussi grand que possible, a suggéré à la Commission l’idée de vous soumettre les propositions suivantes :
1° Le nombre des élèves gratuits serait illimité; il suffirait qu’une place fût demandée, pour qu'elle fut accordée sans délai.
2° À l'effet, Messieurs, de réaliser ce vœu; que sans doute vous partagez avec nous, les élèves payans et les élèves gratuits cesseraient d'être confondus ; et deux séances par jour, de deux heures chacune , aux époques de la journée qui paraîtraient le plus convenables, seraient spécialement consacrées aux élèves gratuits.
3° Le local serait exclusivement occupé par l'école de dessin et le logement nécessaire au professeur.
4° M. BLANC, professeur adjoint par la ville à M. DUPUY, au lieu de deux heures qu'il doit à l’école, assisterait aux quatre heures qui auraient été affectées aux élèves gratuits, et recevrait en conséquence une augmentation de 600 francs, par laquelle ses appointemens seraient définitivement portés à 1000 francs.
5° Dans le cas où le nombre des élèves excéderait 120,
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on autoriserait le professeur à prendre un second adjoint, à qui l'on ferait 400 francs d’appointemens.
Enfin, la Commission demande la suppression de la rétribution d’un franc que, dans le principe, devait payer mensuellement chaque élève, qu’une quinzaine seulement paie encore aujourd'hui, et qui sert à couvrir une partie des frais du chauffage, le reste étant à la charge du chef de l'établissement. Un pareil arrangement a semblé intolérable. Les frais de chauffage, d’éclairage , d'entretien des salles et des modèles, doivent être intégralement au compte de la ville. M. Dupuy se trouverait également déchargé d’une somme de 100 francs qu’il paie par année à M. BLANC, comme complément de ce qui lui est alloué par la ville, ainsi que d'une seconde somme de 400 francs que, de ses propres deniers, il paie à une autre personne qui le seconde. De la sorte, les intérêts de tous seraient réglés, et ceux du chef de l'établissement, surtout, ne seraient pas obscurément , confusément sacrifiés au bien général.
Tels ont été, Messieurs, les résultats d'un examen attentif de la part de votre commission, et d’une discussion longue et consciencieuse entre les membres qui la composaient. De nombreuses observations de détail ont été faites; et entre autres, dans l'école de dessin, en passant dans la salle où sont entassés les magnifiques modèles en plâtre envoyés récemment par le ministre de l'intérieur, elle n'a pu s'empêcher de regretter que deux riches collections de ce genre fussent ainsi enfouies à Metz dans des établissemens publics, sans que le public, sans que personne en retirât le moindre avantage.
Mais nous avons dû rester dans les plus grandes généralités, et d’ailleurs la commission que la ville déléguerait annuellement pour inspecter ses écoles, com-
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mission sur la proposition de laquelle vous aurez à vous prononcer, serait tout-à-fait propre à faire successivement disparaître les inconvéniens que nous avons eu à signaler, ainsi que ceux qui nous auront échappé dans un travail évidemment trop rapide pour avoir pu être complet.
Cette commission aurait pour but principal d'établir un lien, une coordination régulière entre les écoles primaires, l’école de dessin et les cours industriels. Ainsi, elle aurait à exercer une surveillance active et sévère, à signaler les vices de l’enseignement ou les modifications à y apporter, à faire annuellement des examens dans les divers établissemens, à entretenir de la sorte entre tous le précieux mobile de l'émulation, à déterminer enfin l'époque de la sortie des élèves de ceux où leur séjour serait devenu inutile, ainsi que leur entrée aux cours pour lesquels ils auraient atteint le degré de connaissances suffisant. :
Une semblable centralisation, une coordination aussi sage des études nécessaires aux classes laborieuses , de plus en plus dirigée et modifiée par l'expérience, peut avoir d'immenses résultats. Réfléchissez, Messieurs, à ce que ce serait seulement qu’une prime annuelle de 25 louis proposée en concours aux cinq ou six écoles primaires qui, sous une protection bienveillante et éclairée, travailleraient ainsi au premier enseignement de l’homme. Il y aurait de quoi opérer des miracles.
Or il ne faut point se le dissimuler, d’après les raisons que nous avons détaillées plus haut, l'institution des frères est incompatible avec de semblables projets. Le Conseil municipal a désiré être éclairé sur l'état de l’enseignement dans les écoles de la ville, afin de pouvoir faire une plus sage répartition de la somme qu'il a votée à cet égard : nous avons dû la vérité tout entière. Ce sera à vous, ce sera à lui de prononcer. Mais l'ensei-
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gnement mutuel nous a paru préférable à l'enseignement des frères de la doctrine chrétienne. Supériorité des élèves, économie , progressibilité, tels sont des faits tous en faveur de l'enseignement mutuel.
I! n'appartient pas à votre Commission de préjuger ultérieurement à votre décision , à celle du Conseil municipal ; toutefois elle a dû prévoir ce qui arriverait dans le cas où ses conclusions seraient adoptées.
Elle a pensé que, dans le cas où l'on n'aurait pas l'intention de conserver les frères de la doctrine chrétienne, il y aurait de graves inconvéniens à se priver de leur présence avant d’avoir à offrir au peuple au moins l’équivalerit de ce que leur départ lui ferait perdre. Or, on ne peut pas improviser des élablissemens semblables. La difficulté même de se procurer des professeurs serait le moindre obstacle, puisqu'an oours normal pour des professeurs d'écoles primaires produirait sans doute en peu de mois les résultäts désirables, et que l'ACADEMIE trouverait facilement dans son sein tout le zèle et la capacité nécessaires pour atteindre ce but. Mais ce sont les localités qui manquent. Aucun des emplacemens occupés par les écoles des frères ne serait susceptible de contenir deux cents enfans dans une même salle, et cette condition est indispensable pour réaliser tous les avantages que présente l'enseignement mutuel.
Il y aurait donc à prendre des mesures susceptibles de lever toutes ces difficultés. C'est un nouveau travail à faire. Votre commission a dû se borner à indiquer le mal et les difficultés du remède.
Dans tout ceci, Messieurs, il s'agit de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Aujourd'hui que la lutte contre un passé qui s'eflorçait en vain de rajuster un sceptre impuissant brisé entre ses mains, est bien décidément terminée, toutes les sympathies vont quitter l’attitude
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hostile, pour tourner un regard de pitié sur cette multitude d'être souffrans et dégradés, qui, sous la désignation cruelle de prolétaires, semblent à tout jamais condamnés à une sorte d'ilotisme politique. Voici en leur faveur un nouveau pas à faire. En altendant que nous puissions leur donner le bien-être moral et physique, développons les intelligences; c'est un pas vers le règne de la capacité.
Il y a sans doute beaucoup à faire; mais en nous efforçant, Messieurs, de remplir la tâche que vous nous avez imposée, nous avons pressenti tout ce que cette œuvre pouvait avoir d'inspiration pour des cœurs généreux. L’Acavénie est en position et en droit de prendre l'initiative. Elle doit, de concert avec l'autorité municipale, seconder de tous ses moyens, de toute son influence, les progrès de l'instruction dans les classes pauvres, Elle le fera, ou plutôt elle continuera à le faire, car elle n’a point attendu pour travailler au bien-être des masses, que ce fût un moyen de flatter et d’envahir le pouvoir.
- Titre
- Transcription du Rapport de Faivre sur l'enseignement primaire à Metz en 1830-1831
- Transcripteur
- Couchet, Pierre